Comment la gauche peut-elle penser et organiser une politique de la concurrence ? De la réponse à cette question dépend notre balance commerciale et notre capacité à mettre en place une politique de croissance conforme à nos objectifs économiques et sociaux. C’est pourquoi Gauche Avenir a ouvert un cycle de réflexion et de débats sur “La concurrence en Europe et le traité transatlantique”.
La première rencontre, qui s’est tenue à l’Assemblée nationale le mercredi 11 décembre 2013, a été consacrée à « repenser la concurrence, un impératif pour réorienter l’Europe ».
Le débat a été introduit par Claude Debons, syndicaliste et membre du Bureau de Gauche Avenir. Il a rappelé les 3 périodes qu’a connues la construction européenne. A partir de 1957, c’est la construction du Marché Commun entre 6 pays de niveaux de développement économique et social assez homogènes, où la suppression des droits de douanes à l’intérieur s’accompagnait d’un tarif extérieur commun. L’élargissement à la Grèce, l’Irlande, l’Espagne et le Portugal s’est fait avec la mise en place des fonds structurels pour aider à rattraper leurs retards. Le Traité de l’Acte unique de 1986 (complété par Maastricht 1992 et Amsterdam 1997) a constitué une rupture avec cette approche. L’objectif du Marché Unique s’est accompagné d’un droit de la concurrence élevé au rang d’un droit supérieur dans l’Union. La voie était ouverte pour toutes les directives de libéralisation des services publics, la mise en place de l’euro et de la BCE, le pacte de stabilité et de croissance, tous conçus dans une approche libérale. A partir de 2004, avec l’élargissement aux nouveaux entrants d’Europe centrale et orientale aux niveaux de développement très inférieurs, ne s’accompagnant pas d’une augmentation du budget européen, c’est le choix de la construction d’une zone de libre-échange et de l’approfondissement du néo-libéralisme qui prévaut. La mise en concurrence des systèmes sociaux devient le levier de démantèlement des conquêtes sociales les plus avancées. Les peuples s’éloignent de plus en plus de l’idée européenne qui n’est plus perçue que comme source de régression sociale. C’est ce modèle, rattrapé par la crise économique de surcroit, qui est en crise profonde aujourd’hui tant sur le plan économique et social que politique et démocratique.
Notre invité, François SOUTY, nous a expliqué comment selon lui la politique de la concurrence peut se « domestiquer », notamment dans le cadre des traités européens actuels.
Cadre supérieur du Ministère de l’Economie et des Finances à la Direction Générale de la Concurrence, de la Consommation et de la Répression des Fraudes, professeur associé à l’Université de la Rochelle et de Kobe (Japon) et cadre du parti socialiste, ce spécialiste de la concurrence a rappelé les différences fondamentales entre les politiques de concurrence des Etats-Unis et de l’Union européenne. Aux Etats-Unis, les normes anti-trust ne s’appliquent qu’aux structures privées tandis que dans l’Union européenne, la politique de concurrence tend à s’appliquer depuis 2000 à des secteurs de plus en plus vastes (notamment dans le domaine agricole) et à des acteurs chargés de missions de service public. Depuis 2004, sous l’influence des décideurs européens fascinés par l’Ecole de Chicago, les aides d’Etat font l’objet d’un contrôle accru et il ne serait plus possible de développer un aujourd’hui projet industriel européen tel qu’Airbus.
Mairie-Noëlle Lienemann, Sénatrice de Paris, est intervenue sur la notion de « marchés pertinents » qui pénalisent aujourd’hui certains producteurs notamment français.
La politique européenne de la concurrence est omnidirectionnelle, unifiée et très centralisée. Les autorités de la concurrence des 28 sont « sous la tutelle » de Bruxelles. Preuve s’il en est, la non-implication des parlements nationaux dans les discussions en cours sur le futur traité transatlantique avec les Etats-Unis qui devrait voir le jour en 2015 ou 2016 après la signature en catimini d’un traité avec le Canada.
Anne-Claire Jarry-Bouabid, secrétaire de la section du parti socialiste du Ministère de l’Economie et des Finances et membre du bureau de Gauche Avenir, a conclu les débats.
Il ressort de cette réunion combien les règles actuelles de la concurrence au sein de l’Europe et entre l’Europe et les Etats-Unis fonctionnent dans une logique libérale, et combien elles peuvent accentuer les déséquilibres. Une politique de la concurrence de gauche serait notamment d’intégrer les enjeux sociaux, et de substituer à la rivalité économique le principe de coopération.
par Anne-Claire JARRY-BOUABID